"La Métamorphose" est un récit 100% Kafka : une idée absolument absurde - un homme qui se réveille un jour sous la forme d'un scarabée géant - est racontée avec un tel "naturel" qu'elle semble la chose la plus naturelle du monde. L'histoire elle-même est presque hilarante et, malgré la condition pitoyable de Gregor, elle vous fait sourire à plusieurs reprises. Mais il y a bien sûr beaucoup plus que cela, magistralement caché derrière les pensées quelque peu naïves du personnage principal.  Il y a la critique sociale, qui s'exprime dans l'épuisement du pauvre Gregor, humilié par son patron arrogant et trahi par son collègue, un "homme de main du patron, sans colonne vertébrale ni sens". Gregor vit dans l'agitation et l'incertitude constantes, car il peut "trop facilement être victime de commérages, de coïncidences et de plaintes infondées", ce qui peut lui faire perdre son emploi. La relation avec son père soulève également de nombreuses questions, car c'est précisément son père qui commence à "reconduire Gregor dans sa chambre en agitant le bâton et le journal", et qui lui donne "par derrière un coup de pied violent et libérateur", ce qui fait que Gregor vole dans la chambre en saignant abondamment. Cependant, ce père semble devoir beaucoup à Gregor, car après sa faillite il y a 5 ans, c'est Gregor qui subvient aux besoins de la famille et leur offre "une telle vie dans une si belle maison".

Mais Gregor ne semble pas être le seul à subir une transformation. Au début, nous voyons son père comme un raté, volumineux et gras après une "vie difficile et sans succès". Mais vers la fin de l'histoire, il se tient soudainement là "le dos bien droit, vêtu d'un uniforme bleu moulant avec des boutons dorés...". Il devient de plus en plus évident que Gregor ne se sent pas chez lui dans cette famille sans amour, où il ne reçoit "aucune chaleur particulière" en retour de ses efforts, et où il éprouve un "sentiment de libération" à regarder par la fenêtre. Le fait que Gregor ne puisse plus parler de manière intelligible en raison de son état et qu'il comprenne de moins en moins ce que les autres disent semble indiquer un fossé croissant entre lui et sa famille. Tout au long du livre, on ressent donc un sentiment de malaise à travers l'ironie. C'est comme si une "bête géante et effrayante" rampait sur vous, avec des pattes qui vous démangent, mais qui sont méchantes. La Métamorphose est l'une des rares œuvres que Kafka a lui-même confiées à l'imprimerie, bien qu'après de longues hésitations. Le dessin est quant à lui dans la lignée des précédents Kurosavoir, le trait d'Hiroyuki Sugahara se relève plutôt efficace.