Magnifié et statufié comme seuls, peut-être, le furent les combattants de la guerre de Troie, Godefroy de Bouillon a longtemps relevé du mythe plutôt que de l'histoire.  Une brillante ascendance - sa famille descendait de Charlemagne -, un enracinement dans une région - entre Rhin, Meuse et Escaut - en plein essor économique et touchée plus tôt que d'autres par la réforme religieuse et sociale entreprise par l'Eglise : tout désignait ce féodal d'une grande bravoure et exerçant un fort ascendant sur les hommes à conduire l'une des trois armées parties en 1096 délivrer le tombeau du Christ. Participant actif à la prise d'Antioche, vainqueur de Jérusalem, il sut comme " avoué (gardien) du Saint-Sépulcre " jeter en moins d'un an les bases d'un État appelé à durer plus d'un siècle et demi. Il connut une destinée posthume plus glorieuse encore. Stupéfait de l'exploit qu'il avait accompli à travers Godefroy, l'Occident fit de lui le parangon des vertus chrétiennes et chevaleresques : les chansons de geste sont pleines de ses hauts faits.

Jeune trentenaire, Godefroy de Bouillon, duc de Basse-Lotharingie (qui s’étend du Brabant au Luxembourg) est l'un des personnages les plus riches de son temps. Il a déjà passé une bonne partie de sa carrière à combattre les ennemis d'Henri IV, mais cette vie commence à le lasser. En novembre 1095, le pape Urbain II lance à Clermont un appel pour libérer le tombeau du Christ à Jérusalem. Godefroy entend y répondre. Il décide de céder son domaine à l'évêque de Liège, et, accompagné de ses frères Baudouin et Eustache, lève son armée. Le voyage vers Constantinople s'annonce périlleux, il faudra traverser la Germanie et le royaume de Hongrie ... ce qui prendra une bonne année. Cette bande dessinée nous permet de jeter un coup d'oeil important sur son passé, puisqu'elle débute en 1095, seulement quatre ans avant ses succès durant la Première Croisade. En revanche, la fiction se mêle à la réalité puisque Godefroy menait presque une vie monacale et bien qu'il fusse courtiser par de bons partis, il ne s'est jamais marié et on ne lui connaît aucun enfant. Ce premier volume nous permet en tout cas de mettre en œuvre ses talents de chevalier. Alors qu’il s’impose rapidement comme un leader, le duc est décrit comme « la vaillance même ». S'il y a bien un point qui distingue Godefroy des autres chevaliers, c'est son désintéressement total, on dirait aujourd'hui qu'il n'est pas matérialiste. Les dessins de Théo Dubois d'Enghien, dont c'est le premier album complet après divers séries historiques chez Petit à Petit, sont d'une grande qualité, tandis que le scénario de Rudi Miel est intéressant bien qu'il romance quelque peu certains passages.