Scénario et dessin : Nine Antico
Agatha, Lucia, Rosalia. Voici le portrait de trois femmes au destin tragique que dresse Nine Antico dans Madones et putains, avec en miroir l’histoire de trois saintes auxquelles leurs vies font écho. Nous sommes face à trois visions de l’Italie du XXe siècle (début, milieu, fin) par le prisme de ses luttes intestines. L’identité italienne, et d’autant plus au sud du pays, s’est construite autour de la prééminence de la pensée catholique et d’une organisation sociale et économique pilotée en sous-main par les mafias. Les vingt ans de fascisme au pouvoir n’auront rien arrangé à la violence ordinaire ni à la cause des femmes auxquelles le rôle que la société des hommes aura assigné est résumé en ces deux noms du titre. Le sacré. Le profane. Le traitement qu’Antico réserve au thème est soumis à une grande liberté qui se traduit simultanément dans le ton et l’image. La couverture à la Courbet cache le noir profond qui domine l’ensemble, à peine perturbé par quelques touches de couleur ou les saillies de dialogues inspirés, souvent drôles, référencés, véhicules d’une prise de distance qui aide à vivre. On se prend dans le tourbillon des pages au découpage acéré à aimer ces victimes (ou ces saintes) plus que n’importe qui. Voilà les forces du livre, celles de la mise à nu des personnages et de la rigueur narrative qui ne sublime son sujet que pour rendre visite aux friches architecturales de l’absurdité politique italienne, l’incomputio, peut-être pour servir de passerelle à un prochain livre qui parlerait de la mutation artistique d’édifices détournés de leur fonction première, comme l’est trop souvent le statut des humaines.
Le ton est intimiste et les drames qui s’y jouent terriblement universels, rappelant par moment l’excellent « Les filles de Salem » de Thomas Guibert. Le trait de Nine Antico est quant à lui brut et lumineux, alternant entre de monumentales fresques architecturales ou naturalistes et des cases serrées où les protagonistes sont à l’étroit. Usant de techniques mixtes, certaines pages évoquent la gravure sur bois tandis que certains visages invoquent l’âme de peintres modernes comme Permeke ou même Matisse, le tout dans des compositions léchées tant animées par la Renaissance italienne que par la bande dessinée moderne (notamment au niveau de l’exploitation des cases, très habilement utilisées). Trois récits presque tous authentiques assez durs mais inspirants pour provoquer un éveil des consciences dans un pays gangréné par le fascisme, la mafia et la misère.
VERDICT
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Premier ouvrage de l’auteure sur l’Italie de ses origines qui nous entraîne dans un monde où la rumeur est omniprésente et où l’honneur prend le pas sur la morale, « Madones et putains » est peut-être son œuvre la plus personnelle et ambitieuse…