1809. Un conteur couvert de tatouages qui protègent son corps et son esprit essaie de gagner un repas dans “L’Ancre de Miséricorde", la taverne du port, le nid des démons locaux. Il demande le souper en échange d'une histoire étrange, sombre, mystérieuse. Il a confiance en son récit, car l’eau de la mer est vraiment froide en janvier, et les marins sont durs à contenter. C’est l’histoire du voyage damné de l’Alicante, et des morts marqués par un signe étrange (un A); c’est l’histoire des malfrats prêts à tuer pour la carte d’un trésor, et celle du Rêveur, le moussaillon qui peut dessiner les horreurs invisibles qui tuent l'équipage, un à un. Dans un premier temps, l'équipage repousse les divagations du Rêveur, puis les cadavres s'accumulent et fatalement le bleu finit par être écouté.

Album complet, “Les Damnés du grand large” est une histoire d'épouvante maritime bien ficelée, bien écrite, dont les dessins composent une atmosphère lugubre et poétique à la fois. La tension du récit monte lentement, avec chaque chapitre, chaque mort et chaque monstre qu’on rencontre; les pages du journal du Rêveur ont l'élégance des estampes japonaises, et les scènes lugubres et sanglantes des massacres virent a l’expressionnisme. C’est un album jeunesse, et pourtant assez complexe pour satisfaire les lecteurs plus âgés, qui apprécieront l'écriture (un bon début pour Kristof Mishel) ainsi que les dessins (Beatrice Penco Sechi est autodidacte, ce qui explique peut-être ce style très original et très intéressant). Une belle surprise.