Itinéraire d’un profiteur de guerre ! Ferdinand a tout pour déplaire : désagréable, décomplexé, grande gueule, arrogant, ingérable, sans scrupules, il n’a d’intérêt que pour les bénéfices tirés du poison alcoolisé qu'il vend à l’armée pour anesthésier les soldats avant l’assaut. Philippe Pelaez construit, sur des données factuelles, un récit intelligent sans aucune prétention moralisatrice. Son anti-héros, contrairement à beaucoup des personnages qui l’entourent, n’est pas un hypocrite. Il rappelle Le Voleur (Louis Malle, 1967) quand Belmondo proclame : « Je fais un sale métier, mais j’ai une excuse, je le fais salement ! », réplique d'ailleurs "reprise" dans le dernier Corto. La grande force de cet album consiste à raconter — d’abord et avant tout — une histoire qui s’insère dans un contexte précis, sans se substituer à un livre d’Histoire ou à imposer une vision moralisatrice sur le sens de la guerre et/ou du mercantilisme.

Avec des dialogues percutants, sans concession, ancrées dans la violence de la réalité, Philippe Pelaez apporte de la nuance, de la profondeur, donc une réflexion renouvelée sur des sujets et des situations rebattus (guerre, alcoolisme, drogue, héroïsme, etc.) pour leur donner une direction qu’un auteur majeur de la première guerre mondiale comme Tardi n’a curieusement jamais exploré. Ferdinand ne perd jamais de vue son intérêt propre. Bien que son itinéraire personnel se confonde avec le poison qu’il distille, Philippe Pelaez apporte du recul et de la perspective, sans verser dans une émotion plus frelatée que le jaja servi aux Poilus. Ferdinand cherche à régler une situation, concrètement, quand le temps des palabres est dépassé. Francis Porcel donne bien corps et vie au monde des tranchées et de l’arrière. La méchanceté ne se lit sur aucun des visages. La dureté et les souffrances de la guerre en revanche, transpirent sur toutes les planches et les visages.