Scénario : Pierre Christin
Dessin : Sébastien Verdier
L'Angleterre des années 1920 : le petit Eric Blair vit avec sa mère mondaine, son père fait son service militaire en Inde. En tant qu'héritier, il entre à l'école réputée Saint Cyprien, où règne un régime de fer, ce qui le conduit finalement à l'élitiste collège Eton. De là, son chemin ne mène pas à Oxford comme d'habitude : probablement aussi sous l'influence de la carrière de son père, il s'engage dans la police birmane, où il apprend les mécanismes du pouvoir de l'Empire anglais. De retour en Angleterre, il fait ses premières tentatives en tant que journaliste et se plonge avec son copain Paddy dans la classe ouvrière et les pauvres, parcourant les lieux d'hébergement et les pubs et développant de plus en plus d'idées de gauche. Son mariage avec Eileen O'Shaughnessy n'y change rien : Blair, comme beaucoup de ses contemporains intellectuels de gauche, plonge dans la guerre civile espagnole, a beaucoup de chance de survivre à une blessure au cou et revient en Angleterre. Animé par un profond scepticisme à l'égard de la civilisation, une aversion pour les grandes villes (il préfère vivre à la campagne sans grand confort) et un amour très prononcé pour sa patrie, Blair écrit des reportages pour des journaux de gauche et fait également ses premiers pas de romancier. Il attire l'attention sur lui avec des ouvrages tels que "Hommage à la Catalogne" et "Une histoire birmane", mais sa grande percée vient avec "La Ferme des animaux", qu'il publie déjà sous le pseudonyme de George Orwell - la fable anti-utopique amère qui est un règlement de compte avec le communisme qu'il tenait autrefois en haute estime. De plus en plus affaibli par une tuberculose progressive et marqué par un profond pessimisme culturel, Orwell se retire finalement sur l'île isolée du Jura, au large des côtes écossaises, pour terminer un roman qui, sous le titre provisoire "Le dernier homme", est censé révéler la vision sombre d'un État de surveillance totalitaire...
Pierre Christin (Valérian) est un garant de qualité : le Français déploie ici l'histoire mouvementée de la vie d'un des auteurs les plus influents du XXe siècle dans des épisodes formateurs qui tracent le chemin d'un socialiste convaincu à une critique désabusée de la condition humaine. Le scepticisme croissant d'Eric Blair à l'égard des systèmes de toute nature apparaît dans les épisodes centraux, les étapes de sa vie apparaissent logiquement jusqu'à l'aboutissement de ce roman, qu'il a pu achever peu avant sa mort et dont le titre provient de l'année 1948 réorganisée. Dans son épilogue, Christin esquisse également la pertinence continue des idées d'Orwell, qui devraient en fait être obsolètes après l'échec du socialisme : à l'époque des fausses nouvelles, de l'ingénierie sociale et de la mobilité sociale, qui toutes renferment soigneusement de laides réalités, le roman d'Orwell vit tout autant que la surveillance constante, qui n'a pas du tout besoin de son grand frère, mais utilise simplement des vidéos de chats dans les réseaux sociaux et recueille joyeusement toutes les données. L'artifice avec lequel les œuvres centrales d'Orwell sont incorporées ici est également extrêmement habile : dans chaque cas sous forme artistique par des grands noms du genre comme Juanjo Guarnido (Blacksad), Manu Larcenet (le rapport de Brodeck), André Juillard (Les 7 vies de l'épervier) ou Enki Bilal (La Trilogie Nikopol), des scènes élémentaires de "La ferme des animaux", "Les jours de Birmanie" ou "Hommage à la Catalogne" sont incluses. Fascinant, révélateur et intemporel de cette façon.
VERDICT
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Ce roman graphique relatant la vie de Georges Orwell (plutôt Eric Blair) aborde une forme très originale, que ce soit pour le scénario ou pour le dessin. Le récit d'un homme en avance sur son temps.